Jambes sans repos : comment ils vivent avec...
Fourmillements dans les jambes, décharges électriques, brûlures... Corinne, Mirose et Jean-Pierre, comme 8% des Français, vivent avec la maladie de Willis Ekbom, plus connue sous le nom de syndrome des jambes sans repos. Ils témoignent.
3 QUESTIONS À... YVES DAUVILLIERS Neurologue, responsable de l'équipe médicale Troubles du sommeil et e l'éveil du CHU de Montpellier.
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EN QUOI CONSISTE CETTE MALADIE ?
C'est une affection neruologique sensorimotrice irréversible, qui touche 8% de la population - deux fois plus de femmes que d'hommes. Elle provoque des impatiences, semblables à des fourmillements, des tiraillements des décharges électriques dans les jambes, parfois dans les bras, qui obligent à se lever et à marcher. Les symptômes sont plus forts en fin de journée, mais aussi la nuit. - ce qui altère le sommeil - et ne s'atténuent que si la personne bouge.
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QUELLE EST SON ORIGINE ?
La moitié des formes est d'origine familiale, avec souvent une part génétique prédisposante, l'autre est d'origine environnementale : une carence en fer est quasi systématiquement retrouvée dans le cerveau et, dans 20% des cas, aussi dans le sang (ferritinémie basse). Or cette carence de fer perturbe la régulation de la dopamine, neurotransmetteur qui intervient dans le contrôle des mouvements. Actuellement, nous cherchons à mieux comprendre l'origine de cette dysrégulation du fer et de la dopamine.
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QUELS SONT LES TRAITEMENTS ?
Si le syndrome est léger, l'arrêt du tabac et des excitants peut suffire. Pour les formes plus intenses, on prescrit des molécules, à petites doses, seules ou en association : du fer, des agonistes dopaminergiques (qui imitent l'action de la dopamine) et des antiépileptiques, parfois de la codéine. Un dosage trop fort peut aggraver les symptômes et / ou provoquer des effets secondaires importants (somnolence, comportements impulsifs). Dans un centre du sommeil, on apprend à diminuer ses symptômes, les risques de dépression et de maladies cardiovasculaires.
TÉMOIGNAGES
Il y a cinq ans quand le diagnostic a été posé par un neurologue de Nancy, les douleurs dans mes jambes étaient tellement vives que je n'arrivais plus à marcher. Ni à peine à dormir : 2h par nuit seulement. On m'a prescrit des agonistes dopaminergiques, qui n'ont eu aucun effet sur moi. Sauf un indésirable majeur : le syndrome d'augmentation (aggravation des symptômes). Prise d'une fièvre acheteuse, j'ai renouvelé ma garde-robe en un temps record ! On m'a ensuite donné des antiépileptiques qui me réussissent mieux - à condition de les prendre à heure fixe, sinon, je le sens tout de suite. Surtout au bureau, où j'ai besoin d'allonger les jambes, de les replier... Avec l'autohypnose, j'ai appris à moins me crisper quand je sens la crise arriver. Et grâce au cannabis thérapeutique, j'arrive à faire des nuits de 6h. - Corinne, 55 ans.
J'en souffrais déjà adolescent, mais j'ignorais que c'était le syndrome des jambes sans repos. Diagnostiqué il y a 25 ans, j'ai découvert avec soulagement que je n'étais pas le seul et que ce n'était pas dans ma tête ! Chez moi, l'intensité des crises est liée à mon niveau de stress. Alors, j'ai trouvé des parades pour réguler l'excitation : pas d'alcool ni d'activité physique après 15h et des activités intellectuelles pour m'occuper l'esprit ; lecture, Scrabble... J'ai aussi profité de mes insomnies pour écrire un livre* qui répond aux interrogations des gens sur ce syndrome, et leur évite une errance thérapeutique. (*Jambes sans repos de J.-P. Beaufey, éd. Nombre7, 10€) - Jean-Pierre, 75 ans.
Cela fait vingt ans que je vis avec des impatiences, quinze que je suis traitée. Ma mère et ma soeur aînée en souffrait déjà. Aujourd'hui, c'est au tour de ma fille de 47 ans. Tant que le syndrome est modéré, j'encourage à se tourner vers l'acupuncture, les massages, les douches froides... Et à attendre le plus longtemps possible avant de prendre des médicaments, à cause des effets secondaires. Parce-que si l'association d'agonistes dopainergiques et d'antiépileptiques me soulage, j'ai quand même tendance à somnoler dans la journée et à ne pas pouvoir m'asseoir avant 22h ! Forcément, cela limite les visites à mes enfants en Suisse car il m'est difficile de rester assise des heures en voiture, dans le train ou l'avion. - Mirose, 68 ans.
C'EST NOUVEAU ! L'espoir de la neurostimulation du nerf vague
Certains patients, comme Robert Parisot, président de l'AFE*, deviennent résistants au traitement médicamenteux. A condition d'être adressés par un médecin et après validation de leur exigilibité, ils peuvent être inclus dans le protocole de reccherche mené par le Pr Eric Azabou neruologue-neruophysiologiste à l'hôpital Raymond-Poincaré, à Garches : " En stimulant le nerf vague, grâce à une électrode, placée dans l'oreille du patient, qui envoie de légères impulsions électriques, il est possible de réguler l'activité des réseaux dopaminergiques et de diminuer les symptômes de la maladie." A raison d'une séance d'une heure, une fois par semaine pendant deux mois, les 34 patients ayant bénéficié du protocole ont vu leur qualité de vie s'améliorer significativement : diminution des impatiences, de l'anxiété, de la dépression et meilleur sommeil. Prochaine étape ? Etendre le protocole à une dizaine de centres du sommeil, dont les patients pourront utiliser le système de stimulation à domicile et participer ainsi à une étude randomisée.
Septembre-octobre 2022