Simone Ruellan, Le fléau des jambes sans repos
PORTRAIT - Simone Ruellan Vice-présidente de l’association France-Ekbom (AFE) Directement concernée par le syndrome de la jambe sans repos, cette retraitée a écrit un manifeste à l’intention des médecins généralistes, encore trop nombreux à ses yeux à ne pas prendre cette maladie au sérieux.
Simone Ruellan ne décolère pas. Il y a quelques semaines son frère aîné est décédé dans une unité de soins palliatifs normande. « Il avait 90 ans, deux cancers en phase terminale, raconte-t-elle la gorge nouée. Il ne pouvait quasiment plus s’exprimer. Nous savions ce qui l’attendait, mais pas qu’il allait autant souffrir. Lorsque je lui ai rendu visite, il agitait les jambes en se tordant dans tous les sens et tentait de les masser. J’ai immédiatement compris. J’ai parlé du syndrome de la jambe sans repos aux infirmières qui tombaient des nues. Elles n’avaient jamais entendu parler de cette maladie et encore moins des souffrances qu’elle pouvait occasionner. Les médecins en charge ne semblaient guère plus au courant… » Une réalité qui la révolte.
Pourtant, ce que son frère cloué au lit a subi sans pouvoir l’exprimer, des millions de personnes le vivent au quotidien. Ces sensations de piqûres, de brûlures, de fourmillements, voire de décharges électriques dans les jambes et parfois dans les membres supérieurs qui donnent une irrépressible envie de bouger lorsqu’on est couché ou assis, que l’on tente de se reposer, de dormir, font partie de leur vie quotidienne. Ce sont quelques-uns des symptômes de la maladie dite de Willis-Ekbom, ou syndrome de la Jambe sans repos. Elle toucherait 10 % de la population française, dont 3 % de manière sévère. On n’en meurt pas, mais il n’existe pas de traitement efficace durable connu et ni d’espoir de guérison aujourd’hui.
Simone Ruellan, 77 ans, a toujours vécu avec cette pathologie. « Mes premiers souvenirs remontent à mon enfance, raconte-t-elle émue. Mes parents, des agriculteurs bretons, m’avaient abonnée à Fripounet et Marisette. J’adorais lire le soir avant de dormir, mais je ne pouvais pas, car j’avais déjà ce besoin impérieux de bouger. Il n’était pas aussi invalidant qu’aujourd’hui, mais la gêne était bien réelle. » La situation devient ingérable à l’approche de la quarantaine. Elle commence à ne plus dormir la nuit, une des conséquences de la maladie. « Je travaillais à la mairie de Paris, poursuit Simone. Je me revois faire les cent pas dans l’appartement où nous vivions avec nos deux filles. Pour tuer le temps, je lisais en marchant, sans jamais perdre de vue l’horloge… Je redoutais le cap des trois heures du matin après lequel je savais que je ne dormirais plus. »
Il lui arrive parfois d’avoir des idées noires « en regardant la boîte à pharmacie », confie-t-elle pudiquement. « Quand j’en arrivais là, je partais faire le tour du périphérique parisien. Assise dans ma voiture, je ne ressentais plus ce que les spécialistes appellent des impatiences. »
Simone Ruellan met un nom sur cette maladie au début des années 2000, en découvrant l’association France-Ekbom. Elle adhère en 2002 et devient correspondante en 2004. À la retraite, de retour dans ses Côtes-d’Armor natales, elle assume de plus en plus de responsabilités. Elle est aujourd’hui vice-présidente, chargée de la gestion des correspondants régionaux.
Ce poste lui permet de prendre la mesure du problème. Et notamment celui de la prise en charge de cette maladie « qui touche majoritairement des femmes ». « Elle détruit votre sommeil, vous coupe de toute vie sociale, résume-t-elle. Il y a des années que j’évite les soirées avec les amis ou en famille, le cinéma, le théâtre, les voyages en avion ou en train… »
S’il existe des médicaments aidant à supporter cette maladie, leur effet est souvent limité dans le temps. « Il faut souvent augmenter les doses avec d’inévitables effets secondaires », précise Simone Ruellan, qui souligne que ces médicaments lui ont toutefois sauvé la vie. Alors quand elle lit dans des revues spécialisées des articles appelant à les éviter au nom du bénéfice risque, son sang ne fait qu’un tour. Et de nouveaux combats commencent pour l’association avec ce sentiment qu’il sera long et semé d’embûches avant que cette maladie soit prise au sérieux.
En attendant Simone compte sur un manifeste qu’elle a écrit au début de l’année pour sensibiliser les soignants et les autorités médicales. « L’idée est née d’un ras-le-bol. Celui d’entendre des malades se plaindre à longueur de journée de la manière dont ils sont reçus par de nombreux médecins généralistes persuadés que cette maladie est dans nos têtes. Qu’elle a été créée pour vendre des médicaments. Un jour, un neurologue a parlé à un adhérent de “dernier gadget à la mode”. C’est insupportable de voir que notre maladie n’existe pas alors qu’elle a été identifiée depuis le XVIIe siècle. »
Son inspiration
« L’immense danseur qu’était Rudolph Noureev »
« Toute petite, j’avais un rêve, impossible à réaliser dans ma campagne : faire de la danse classique. La vie m’a emmenée à Paris pour travailler et dès mon arrivée, j’ai pu, non pas réaliser mon rêve mais le poursuivre différemment. L’Opéra de Paris m’a offert le plus beau spectacle donné par l’immense danseur qu’était Rudolph Noureev dans son interprétation du Lac des Cygnes avec Sylvie Guillem à l’Opéra. S’il vivait encore aujourd’hui, nul doute qu’il arriverait à quitter son pays, la Russie, comme il l’a fait en 1961 en faussant compagnie à ses gardes du KGB. Pour mon plus grand bonheur. »